À quelques encablures du centre-ville de Bafia, dans la région du Centre au Cameroun, le quartier Ndengué se déploie dans une tranquillité trompeuse. Sous ses airs de bourgade paisible, se cachent les strates d’une histoire riche, mêlant traditions guerrières, effervescence intellectuelle et mutations sociales. Une immersion dans ce microcosme (à l’occasion de la Foire artisanale du cauris, des bambous et des perles végétales) révèle un Cameroun en miniature.
Aux racines d’un toponyme : de Fiéfizoé à Mozart
La dénomination actuelle de Ndengué trouve ses racines dans une épopée méconnue. Au XIXe siècle, le chef supérieur Mpwack Matchan aurait sollicité l’aide militaire du chef Waki Djanti Baveck Ndengué Ndjouli, lui concédant ce territoire en guise de bivouac. « Fiéfizoé » (signifiant « marché de pailles » en langue locale) s’efface progressivement des mémoires, remplacé par le curieux « Quartier Mozart », avant que Ndengué ne s’impose.
« Ce nom de Mozart venait des colons, impressionnés par le nombre d’intellectuels formés ici », explique un notable, assis devant sa maison aux murs décrépis. Une ironie de l’histoire pour ce quartier qui a vu éclore une pléiade de figures nationales, du maire de Ngoro Dieudonné Annhir au ministre René Emmanuel Sadi, en passant par le Pr Ondoa Magloire (surnommé ici « le chef du Niguiss »), et Didier Ndengué, arrière-petit-fils du célèbre Ndengué et directeur de publication du journal en ligne La Plume de l’Aigle, une référence dans la presse camerounaise.
Éducation et culte : les piliers d’une identité
En parcourant les artères sablonneuses de Ndengué, on découvre un condensé des réalités camerounaises. Le collège catholique Sabaya (avec ses cycles francophone et anglophone) côtoie l’École publique Rue-Chevalier, un établissement inclusif où enfants valides et en situation de handicap se côtoient.
Plus loin, une mosquée, une chapelle protestante et une église catholique se partagent un même pâté de maisons. « Ici, les fidèles se croisent sans problème », assure un commerçant malien devant son échoppe de produits de première nécessité. Cette coexistence pacifique contraste avec les tensions interconfessionnelles qui secouent d’autres régions du pays.
Gloires passées et fractures sociales
Pourtant, derrière cette façade harmonieuse, Ndengué n’échappe pas aux maux contemporains. « Avant, c’était un quartier calme, peuplé de fonctionnaires et d’enseignants », se souvient Marie-Claire Mbataka, figure locale et mère de l’avocat Me Claude Assira. Aujourd’hui, la délinquance juvénile, la prostitution et la consommation de cannabis préoccupent les habitants.
À l’hôpital de district, un médecin (sous couvert d’anonymat) évoque l’augmentation des grossesses précoces et des infections sexuellement transmissibles. « Les jeunes n’ont plus de repères », déplore-t-il, tout en saluant les initiatives communautaires pour endiguer le phénomène.
Le RPN, dernier rempart identitaire ?
Chaque vacance, le stade de fortune du marché Ngaï (marché de jeudi) accueille l’équipe mythique des Rouges Pieds de Ndengué (RPN) et le quartier s’anime au rythme de ses matchs. Chaque week-end également, le terrain s’enflamme pour les compétitions locales. « Quand le RPN joue, tout le quartier oublie ses problèmes », s’enthousiasme un supporter, arborant fièrement son maillot rouge.
Pourtant, même le football subit les contrecoups de la crise. « Avant, les joueurs restaient au quartier. Aujourd’hui, les meilleurs partent à Yaoundé ou Douala à la première occasion », regrette un ancien dirigeant.
Entre mémoire et nécessaire renaissance
Traversé par la route départementale D47 (axe vital reliant Biamo à Boura 1), Ndengué semble à la croisée des chemins. Malgré tous les travers, Ndengué résiste et s’adapte à la modernité. Sur l’artère principale, on observe un dynamisme économique. Ses commerces tenus par des Maliens, ses bars animés et ses transferts d’argent via ETS Norri témoignent d’une vitalité certaine.
Pourtant, pour ses habitants, l’enjeu est ailleurs : préserver l’âme d’un quartier qui a tant donné au Cameroun, sans sombrer dans la nostalgie. « Ndengué doit réinventer sa fierté », lance un enseignant à la retraite. Un défi à la mesure de son histoire.
Louis Ebene, à Bafia
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