ZONE CEMAC - Un secteur financier qui finance … lui-même : anatomie d’un modèle fermé, le cas d'Ecobank Cameroun
Charles Menye
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Zone CEMAC – Bénéfices records pour la BEAC mais supplices quotidiens pour le citoyen : à quand un partage équitable ? 

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Par Charles Menye, Président du Comité de Vigilance Financière de la CEMAC (CVFC)

La Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a annoncé pour 2024 un bénéfice record de 336 milliards de francs CFA. Pour beaucoup, ce chiffre est la preuve d’une bonne gestion. Mais pour des millions de citoyens de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, RCA, Guinée équatoriale), cela soulève une question simple et douloureuse : à quoi sert cet argent, si notre quotidien reste toujours aussi difficile ?

Dans cette tribune, je veux expliquer en mots simples comment la BEAC gagne de l’argent, pourquoi cela ne profite pas encore au citoyen ordinaire, et ce qu’on pourrait faire pour changer ça.

Comment la BEAC gagne-t-elle de l’argent ?

La BEAC n’est pas une banque comme les autres. Ce n’est pas une banque où l’on ouvre un compte ou où l’on retire de l’argent au guichet. C’est la banque des banques, mais aussi la banque des États de la CEMAC.

Elle gagne de l’argent de plusieurs façons :

  1. Grâce à l’argent qu’elle place à l’étranger

La BEAC détient des réserves de change : des devises comme le dollar ou l’euro. Elle place cet argent sur des marchés financiers. Ces placements rapportent des intérêts chaque année.

  1. En prêtant de l’argent aux banques locales (refinancement)

Les banques commerciales (comme Afriland, BGFIBank, UBC, etc.) ont parfois besoin d’argent pour fonctionner, surtout quand elles n’en ont pas assez en caisse pour faire face aux demandes de leurs clients.

Dans ce cas, elles vont emprunter à la BEAC. C’est ce qu’on appelle une opération de refinancement.

Exemple : une banque locale emprunte 10 milliards de FCFA à la BEAC. Elle devra rembourser cette somme, avec des intérêts. En 2025, le taux appliqué par la BEAC est de 4,5 %. Cela signifie que la BEAC touche 450 millions de FCFA d’intérêts pour ce prêt.

Plus les banques empruntent, plus la BEAC gagne.

  1. Grâce aux dépôts obligatoires des banques

La BEAC oblige toutes les banques de la CEMAC à déposer une partie de leur argent chez elle. C’est une sécurité. Mais ces réserves obligatoires ne sont pas ou peu rémunérées. Cela donne donc à la BEAC une source de liquidités gratuites, qu’elle peut faire travailler à son avantage.

  1. En vendant ou en achetant des devises

Pour maintenir la stabilité du franc CFA, la BEAC fait parfois des opérations sur les marchés de devises. Quand elle achète ou vend des dollars ou des euros, elle peut aussi faire des gains.

Et les citoyens dans tout ça ?

Aujourd’hui, les banques, les importateurs et la BEAC font des bénéfices. Mais le citoyen moyen, lui, n’en voit pas la couleur. Pourquoi ?

Exemple 1 : les produits comme le riz

En 2024, le prix du riz a baissé sur les marchés mondiaux (–6,8 % selon la BEAC). Mais sur les marchés de Douala, Yaoundé, Libreville ou N’Djamena, le prix du kilo de riz reste autour de 485 à 500 FCFA. Les importateurs continuent de vendre cher, même quand ils achètent moins cher. Le consommateur est donc le grand perdant.

Exemple 2 : les crédits bancaires

En 2025, la BEAC a baissé son taux directeur de 5 % à 4,5 % pour aider les banques à prêter plus facilement. Cela veut dire que les banques empruntent moins cher. Mais elles n’ont pas baissé leurs propres taux pour les entreprises ou les particuliers.

Résultat ? Les crédits restent chers, autour de 10 à 12 %. Les petites entreprises ne peuvent pas emprunter pour grandir. Les jeunes, les femmes, les familles n’ont pas accès au crédit. Les banques profitent, pas les gens.

Un système qui enrichit les uns… et oublie les autres

Ce modèle économique produit des gagnants :

  • La BEAC, qui accumule des milliards.
  • Les banques, qui empruntent à faible coût mais ne baissent pas leurs taux.
  • Les importateurs, qui profitent des prix mondiaux mais ne les répercutent pas.

Et pendant ce temps, le peuple lutte :

Le riz est trop cher.

Le crédit est inaccessible.

Les PME n’arrivent pas à embaucher.

Les jeunes ne trouvent pas leur place.

Que peut-on faire ? Des idées simples, mais efficaces

La BEAC peut changer la donne grâce aux bénéfices qu’elle a engrangés. Voici trois propositions :

  1. Créer un Fonds régional de garantie

Ce fonds aiderait les petites entreprises à obtenir des crédits. Aujourd’hui, les banques refusent souvent car elles jugent les PME trop risquées. Ce fonds jouerait le rôle de caution : s’il y a un problème, le fonds couvre une partie des pertes.

Cela permettrait à des milliers d’entrepreneurs locaux de se financer : agriculture, artisanat, énergie, numérique, etc.

  1. Encourager les crédits à taux réduits pour les ménages

La BEAC pourrait financer, avec ses bénéfices, des crédits bonifiés pour les jeunes, les femmes, les commerçants. En baissant le coût du crédit, on redonne du pouvoir d’achat et on stimule l’économie locale.

  1. Investir dans la production locale

Plutôt que d’acheter toujours à l’étranger, on peut utiliser une partie des excédents pour soutenir les filières locales : riziculture, transformation alimentaire, production d’énergie, etc. Cela créerait de l’emploi et réduirait la dépendance aux importations.

Les bénéfices doivent redescendre

336 milliards de FCFA de bénéfice, c’est une immense opportunité. Mais un chiffre, s’il reste dans un bilan comptable, ne nourrit personne.

La BEAC peut continuer à faire de la stabilité monétaire sa priorité. C’est son rôle. Mais la stabilité n’a de valeur que si elle aide les gens à mieux vivre. Elle doit devenir un acteur du développement, pas seulement un gardien des chiffres.

Si elle prend cette voie, elle pourra dire un jour : “Oui, nos milliards ont changé des vies.”

Si elle ne fait rien, alors ce bénéfice restera un symbole : celui d’un système où l’argent circule en haut, pendant que la pauvreté se creuse en bas.

 

 

 

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