Mbouda, Mokolo, Bafia ou Batouri : dans les campagnes camerounaises, le whisky en sachet s’impose comme un incontournable. Peu coûteux, facilement transportable et omniprésent lors des événements sociaux, cet alcool fort est devenu un compagnon quotidien pour des milliers de ruraux. Mais à quel prix ?
Le 9 juillet 2025, plus de deux ans après son interdiction officielle, le whisky en sachet continue d’être vendu et consommé sans relâche dans les zones rurales du Cameroun. Ce spiritueux à bas prix, surnommé « la mort en plastique », résiste à toutes les tentatives de régulation, exposant chaque jour un peu plus les populations à des risques sanitaires graves.
Une interdiction légale, mais inefficace sur le terrain
Le 11 avril 2023, le ministère de l’Industrie annonçait l’interdiction de la production et de la vente des whiskys en sachet, mettant fin à une tolérance administrative de près de dix ans, en vigueur depuis 2014. Cette mesure, attendue par les associations de consommateurs, visait à éradiquer un produit reconnu comme hautement toxique.
Alphonse Ayissi Abena, président de la Fédération camerounaise des consommateurs, déclare : « Ce produit est nocif pour notre jeunesse, il doit disparaître. » Malgré cette décision, près d’une semaine seulement après son entrée en vigueur, les sachets d’alcool réapparaissaient déjà sur les étals, notamment à Yaoundé et Douala.
« Je vends parce que je vis de ça », confie Albert, un vendeur du centre-ville. « Le prix a même baissé, aujourd’hui on en trouve à 50 FCFA, parfois 100 FCFA selon la marque. Les livreurs viennent la nuit, et les clients demandent toujours », ajoute ce dernier.
Une addiction enracinée dans les campagnes
Dans les villages du Centre, de l’Extrême-Nord, de l’Est ou de l’Adamaoua, le whisky en sachet est devenu une consommation banale. Il est bu dès le lever du jour, pendant les travaux champêtres, ou lors des célébrations sociales : deuils, funérailles, mariages, baptêmes. Il accompagne couramment l’odontol (alcool distillé localement) et le matango (vin de palme).
« Ce whisky, on le trouve partout. Il coûte moins cher qu’un pain. Parfois, même des enfants viennent en acheter », alerte le Dr Célestin Ndom, médecin généraliste à Monatélé.
Le Cameroun se trouve confronté à une réalité alarmante : l’interdiction officielle du whisky en sachet, décrétée le 11 avril 2023, semble avoir eu peu d’impact sur la consommation de ce produit. En effet, plus de 10 millions de sachets continuent d’être écoulés chaque mois, à des prix variant de 50 à 100 FCFA, rendant cet alcool accessible à tous. Les jeunes sont particulièrement touchés, avec un âge moyen de premier contact estimé entre 12 et 14 ans. Les analyses révèlent des niveaux de méthanol jusqu’à 30 fois supérieurs aux normes de l’Organisation mondiale de la santé, tandis que les cas d’hépatites et de cirrhoses ont augmenté de plus de 40 % en cinq ans. Cette situation illustre l’ampleur d’un fléau qui, malgré son interdiction, continue de ravager les vies dans les zones rurales.
Un danger sanitaire majeur : des chiffres alarmants
Une étude réalisée en 2022 par le Centre de Recherche sur les Toxicomanies et Dépendances à l’Alcool (CR-TDA) révèle que 60 % des consommateurs réguliers de whisky en sachet présentent des signes précoces de cirrhose hépatique, de troubles cognitifs, ou de démence précoce.
Les analyses chimiques sont tout aussi préoccupantes. Plusieurs échantillons testés en laboratoire contiennent des doses de méthanol jusqu’à 30 fois supérieures aux normes recommandées par l’OMS. Ce niveau de toxicité entraîne, dans les cas les plus graves, des pertes de vue irréversibles, des lésions cérébrales permanentes, et des décès subits.
Le phénomène touche désormais des adolescents. L’âge moyen du premier contact avec ces alcools est estimé entre 12 et 14 ans, selon les données croisées du ministère de la Santé publique et des ONG locales.
Par ailleurs, les cas d’hépatites alcooliques ont augmenté de plus de 40 % en cinq ans dans plusieurs régions, notamment dans l’Ouest et le Nord-Cameroun.
Une économie de survie et un fléau culturel enraciné
Le succès persistant de ces boissons tient à leur extrême accessibilité : à 50 ou 100 FCFA le sachet, elles sont à la portée de toutes les bourses. La crise économique, l’absence d’emplois structurants et l’enracinement de l’alcool dans certaines pratiques culturelles favorisent leur acceptation sociale.
« Ce n’est pas seulement un problème sanitaire, c’est aussi un drame social. Dans certains villages, ces sachets sont distribués à la fin des offices religieux ou lors des funérailles comme signe d’hospitalité », explique Julie Ekani, sociologue à Douala.
Quelles solutions face à l’inaction ?
Si la Brigade nationale de contrôle et de répression de la fraude, l’Agence des normes et de la qualité et la douane camerounaise sont chargées de veiller à l’application de l’interdiction, leur action reste encore marginale, surtout en dehors des capitales régionales.
Les spécialistes préconisent la fermeture systématique des unités de production clandestines ; un renforcement des contrôles douaniers aux frontières avec le Nigeria ; des campagnes de sensibilisation multilingues ; la création de programmes de désintoxication ruraux ; et des alternatives économiques pour les revendeurs.
Sans action gouvernementale ferme et continue, préviennent les experts, le whisky en sachet continuera d’être un poison légal, tuant à petit feu des milliers de Camerounais, dans l’indifférence générale.
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