Un message « urgent et important » émanant du préfet du département du Wouri, consulté par La Plume de l’Aigle datée du 6 juin 2025, interdit formellement toute manifestation politique non déclarée organisée par le parti FCC (Front pour le Changement et la Citoyenneté), fondé par Jean-Michel Nintcheu, figure controversée de l’opposition camerounaise.
Dans la note signée par le préfet Mvogo et adressée à tous les sous-préfets du département du Wouri, il est ordonné de « procéder à l’interdiction de toute manifestation non déclarée organisée par ledit parti politique » et d’en rendre compte sans délai. Cette décision, accompagnée d’une vigilance accrue sur le terrain, s’inscrit dans un contexte politique tendu, à l’approche des prochaines échéances électorales, où les autorités semblent intolérantes envers toute initiative jugée subversive.
Un cadre juridique double : droit de réunion et loi antiterroriste
La réglementation des réunions et manifestations publiques au Cameroun est régie par la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990, relative aux réunions et manifestations publiques. Son article 3 dispose : « Les réunions publiques sont libres. Toutefois, elles doivent faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de l’autorité administrative compétente. » L’article 6 précise : « L’autorité administrative peut interdire la réunion ou la manifestation publique projetée lorsqu’elle estime que celle-ci est de nature à troubler l’ordre public. »
Cependant, depuis 2014, ce régime a été considérablement renforcé par la loi n° 2014/028 du 23 décembre 2014, portant répression des actes de terrorisme, adoptée dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Ce texte controversé confère des pouvoirs étendus aux forces de sécurité et à l’administration pour prévenir « tout acte de nature à créer un climat insurrectionnel ou menaçant la stabilité nationale ». Son article 2 indique que : « Est puni de la peine de mort quiconque, individuellement ou collectivement, commet ou tente de commettre un acte susceptible de perturber le fonctionnement normal de l’État ou de susciter la terreur dans la population. »
L’article 4 inclut expressément dans les actes qualifiables de terrorisme toute tentative de mobilisation publique jugée comme : « trouble à l’ordre public par intimidation ou terreur. »
Ces dispositions, bien que critiquées par les organisations de défense des droits de l’Homme pour leur flou et leur application extensive, sont régulièrement invoquées pour justifier l’interdiction de rassemblements politiques, en particulier ceux de l’opposition.
Un acteur politique au passé mouvementé
Jean-Michel Nintcheu n’en est pas à son premier affrontement avec le pouvoir. Ancien cadre du Social Democratic Front (SDF), il s’est fait connaître sur la scène nationale en tant que député frondeur et défenseur d’une opposition virulente. Cependant, ses méthodes et sa posture radicale lui ont valu de nombreuses critiques, y compris au sein de son propre camp. En 2023, il a quitté le SDF après des dissensions internes, avant de lancer les activités du FCC dans un climat de méfiance généralisée.
Sa carrière politique est jalonnée de prises de position tonitruantes, d’accusations d’irresponsabilité et de manifestations interdites. Plusieurs rapports évoquent des tensions fréquentes avec les autorités locales, souvent suivies d’interpellations musclées ou de mises en garde préfectorales. Sur les réseaux sociaux, Nintcheu conserve un certain écho auprès d’une frange de jeunes militants en quête de changement, mais son image d’opposant « populiste et solitaire » divise largement.
En février 2024, une enquête de la Cameroon Political Review soulignait des incohérences dans la gestion financière des premières levées de fonds du FCC, sans que cela n’entraîne de poursuites formelles. D’autres sources évoquent également des tensions avec d’anciens partenaires internationaux, qui lui reprochent une ligne politique floue oscillant entre activisme de rue et repli identitaire.
Un climat de contrôle renforcé
L’interdiction de ce congrès non déclaré s’inscrit dans la stratégie sécuritaire actuelle du gouvernement camerounais, qui encadre de plus en plus strictement les manifestations politiques dans les grandes agglomérations. À Douala comme à Yaoundé, les autorités préfectorales exigent des organisateurs qu’ils soumettent une déclaration préalable pour toute activité publique, ce que Nintcheu et ses partisans dénoncent comme une volonté de museler l’opposition.
Cependant, à la lumière de la loi antiterroriste, toute tentative d’organisation d’une manifestation non autorisée peut désormais être assimilée à une entreprise subversive, exposant ses organisateurs à des sanctions pénales sévères.
Reste à savoir si le FCC tentera tout de même d’organiser son congrès dans la clandestinité. L’ombre de nouvelles échauffourées entre militants et forces de l’ordre plane sur une ville déjà marquée par les répressions des années passées.
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