Les acteurs politiques y voient une nouvelle manœuvre du pouvoir RDPC pour perpétuer sa domination sur la scène politique. L'on va jusqu'à penser que le mandat des conseillers régionaux aurait mérité d'être prorogé pour que le scrutin ait lieu après les élections législatives et municipales de mars 2026 dans la mesure où l'un des collèges électoraux est constitué de conseillers municipaux. Des éléments d'éclairage s'imposent.
Paul Biya, Président de la République du Cameroun
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Tribune : un enseignant de science politique décrypte le décret de Paul Biya portant convocation des collèges électoraux pour les élections régionales

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Par décret signé et rendu public le 1er septembre 2025, le président de la République Paul Biya a convoqué les collèges électoraux pour l’élection des conseillers régionaux pour le 30 novembre 2025. Intervenant à quelques jours de l’ouverture officielle de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, ce décret suscite moult lectures.

Les acteurs politiques y voient une nouvelle manœuvre du pouvoir RDPC pour perpétuer sa domination sur la scène politique. L’on va jusqu’à penser que le mandat des conseillers régionaux aurait mérité d’être prorogé pour que le scrutin ait lieu après les élections législatives et municipales de mars 2026 dans la mesure où l’un des collèges électoraux est constitué de conseillers municipaux. Des éléments d’éclairage s’imposent.

1- Légitimité vs légalité 

Poser le problème de la convocation du collège électoral en termes de légitimité reviendrait simplement demander à tous les élus PCRN, UDC, FSNC, UNDP et RDPC (entre autres) qui bénéficient de la prorogation des mandats de conseillers municipaux de démissionner. Cette dynamique politique doit pouvoir recadrer le jeu politique.

Les processus électoraux dans tous les pays naviguent entre légitimité et légalité. Rien de nouveau sous le soleil du Cameroun. La légitimité fonde le caractère de l’ordre politique. Elle n’est donc pas distante de la légalité qui détermine le sens de la conformité à la norme.

La domination politique produit la légitimité des institutions. Elle se traduit par l’établissement des normes auxquelles les citoyens sont soumis. La légalité donne un sens formel à la société construisant vérifiable et attestée des institutions.

Dans ce cadre, les processus électoraux relèvent des enjeux de gestion et de conservation du pouvoir. Ce serait très léger de les résumer sur la balance légitimité/légalité. Ce sont les acteurs politiques qui doivent en être avisés.  La légalité assure la prévisibilité et l’ordre dans une société par la soumission des citoyens/acteurs politiques aux règles établies. La légitimité rationnelle rejoint et postule par la domination politique, la légalité.

2- Le dispositif Institutionnel 

Aucune disposition du code électoral ne parle de la prorogation du mandat des conseillers régionaux. La constitution est également muette à ce sujet. Le code général des CTD n’en fait pas cas. Même la loi 2006/004 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d’élection des conseillers régionaux est muette à ce sujet (Loi abolie avec le code électoral). On est valablement fondé à dire que le mandat des conseillers régionaux ne peut être prorogé.

Par conséquent, la convocation du collège électoral intervenue le 1er septembre 2025 est non seulement légale mais parfaitement légitime pour éviter de créer un précédent juridique.

En effet, pour proroger un mandat, il faut établir les autorités habilitées à le proroger et les conditions de la prorogation. Le cadre institutionnel actuellement en vigueur au Cameroun n’en relève aucune trace.

3- Le fondement politico-institutionnel 

La question qui se pose est de savoir s’il s’agit d’une omission volontaire du législateur ou alors quelles sont les attentes institutionnelles d’un tel dispositif.

On est fondé à penser que le législateur a voulu donner une position importante aux exécutifs régionaux au même titre que le mandat présidentiel qui ne peut être prorogé dans un processus de décentralisation.

L’exécutif régional et le conseil régional sont les acteurs majeurs du pouvoir local. Cette position centrale permet de saisir la non prorogation de leur mandat. Un président de l’exécutif régional et son conseil régional doivent être renouvelés par la remise en jeu de leur mandat. Conformément aux dispositions pertinentes de l’article 245 du code électoral, les conseils régionaux se renouvellent intégralement tous les 5 ans. Les conseillers régionaux étant rééligibles (article 243 alinéa 2).

4- Une obligation d’apprentissage du politique

Le débat entre légitimité et légalité n’a pas lieu d’être dans les élections régionales du 30 novembre prochain. La politique est du domaine de l’anticipation. Et les acteurs politiques doivent apprendre à anticiper. Les logiques de conquête et de conservation de pouvoir ne se résument pas à la légitimité ou la légalité.

Au demeurant, les conseillers régionaux issus des élections du 30 novembre prochain seront parfaitement légitimes pour une seule raison fondamentale : la loi a été respectée. La loi a été respectée en ce qui concerne la convocation du collège électoral ( article 86, article 230 et article 245 alinéa 1 du code électoral). La loi a été respectée en ce qui concerne la prorogation du mandat des conseillers municipaux qui composent le collège électoral. La loi a été respectée par la tenue des élections municipales du 09 février 2020.

Il y a des élections municipales prévues probablement en mars 2026, les élus de ces scrutins seront légaux et légitimes sans que cela entache la légitimité des conseillers régionaux issus du scrutin du 30 novembre 2025. C’est dans l’implémentation des politiques publiques qu’ils seront jugés et non pas dans la prorogation ou la non prorogation des mandats des uns ou des autres.

Il faut par contre s’interroger sur l’usage que les élus font de leur mandat. Un conseil municipal ou un conseil régional qui a intérêt à réussir ne va pas plomber le mandat de l’autre institution.

Ce n’est pas un problème de légitimité/légalité des élus du 30 novembre 2025 mais surtout un art de faire la politique qui doit être mis en avant. Le conseil régional n’est pas là pour travailler contre une mairie. Et d’ailleurs dans le jeu politique, il y aura toujours des mairies qui ne seront pas du même bord politique que l’exécutif régional même quel que soit le calendrier électoral.

Le vrai problème est dans l’effectivité de la décentralisation sur la base d’une intelligence communément partagée et acceptée entre le pouvoir central et le pouvoir local.

Faudrait-il encore rappeler que la circonscription électorale des régionales est le département ? Les communes sont plutôt des territoires égaux aux arrondissements. On peut donc valablement contrôler une commune sans contrôler une région. On peut même contrôler les communes d’un département sans contrôler la région.

Ce qui devrait intéresser un citoyen c’est l’orientation des politiques publiques. Et c’est là aussi que les acteurs politiques devraient travailler pour avoir la meilleure offre politique possible.

Plus que d’ergoter sur la légitimité/légalité du scrutin du 30 novembre prochain, les partis politiques devraient travailler à le préparer. En effet, quel que soit le résultat de l’élection présidentielle du 12 octobre, il laissera des traces dans les formations politiques et surtout auprès des élus locaux. Certaines cartes peuvent donc être rabattues. D’ailleurs il n’est pas exclu de voir des mouvements (démission, transhumance, exclusion) dans les jours à venir au sein des partis politiques en vue d’un positionnement stratégique qui soutiendrait tel ou tel candidat à la présidence de la République mais qui serait en réalité un positionnement pour les régionales, et surtout pour les législatives et municipales de mars 2026. Tout le monde ne sera pas président de la République (seulement un sur 12 en 2025) mais d’autres jouent leur avenir politique autour des candidats.

Simon Keng

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