Par Louis Marie Kakdeu
La question est de savoir ce que gagne le Cameroun et les Camerounais de ces conventions fiscales. En effet, ce 2 mai 2025, le Président de la République du Cameroun a signé des décrets portant ratification de la convention fiscale entre le Cameroun et un certain nombre de pays dont la Chine et la République Tchèque. Ces décrets suscitent beaucoup d’interrogations quant à leur pertinence. Je me propose dans le cadre de cette tribune de vous livrer une analyse critique.
Qu’est-ce qu’une convention fiscale ?
Une convention fiscale s’appelle aussi convention relative à la double imposition des revenus. Elle définit la résidence fiscale c’est-à-dire le lieu d’imposition des personnes ou des entreprises qui travaillent dans deux pays. En l’état, certaines personnes ou entreprises sont imposées deux fois pour le même revenu. La convention fiscale intervient donc comme une mesure de justice pour les personnes qui disposent d’une double citoyenneté : celle de leur pays de résidence et celle du pays de leur nationalité.
Ces décrets sont-ils opportuns ?
Pour analyser l’opportunité des décrets présidentiels, il faudrait bien comprendre la notion de résidence fiscale. Dans la pratique, un résident fiscal est une personne physique (particulier domicilié dans un pays) ou morale (société immatriculée dans un pays) dont le domicile principal est attesté dans le pays. L’administration fiscale utilise souvent les critères de disposition d’un foyer principal et d’un centre d’intérêt économique dans le pays pour imposer. La durée de séjour qui doit être au moins supérieure ou égale à une année fiscale est aussi requise. En clair, si vous résidez depuis plus d’un an dans un pays, il est attendu de vous de déclarer au moins vos revenus dans ce pays de résidence. Le problème est que vous devez aussi le faire dans le pays de votre nationalité.
Quels gains en opportunité ?
Au-delà de la mesure de justice pour les personnes disposant d’une double citoyenneté, ces mesures peuvent avoir une externalité positive sur la réduction du coût de vie. En effet, les entreprises doublement taxées produisent et vendent plus chères. Il est attendu de la suppression de la double taxation qu’elle induise aussi la réduction des prix sur le marché. Mais, pour cela, il faudrait encore que les gouvernements des pays de résidence assurent convenablement leurs fonctions de régulation. Pour un pays corrompu et du laisser-aller comme le Cameroun, la régulation de l’Etat est nulle et l’on peut être pessimiste quant à la possibilité de telles mesures d’avoir un impact sur le coût de vie.
Ces décrets sont-ils pertinents pour le Cameroun ?
Pour analyser la pertinence de ces mesures pour le Cameroun, il faudrait convoquer le principe de proportionnalité qui voudrait que l’on n’applique ces mesures que dans des cas où la masse critique est assez importante pour influencer le coût de vie dans le pays. Si l’on peut comprendre le cas de la Chine qui peut se justifier par l’importance de ses investissements directs et de sa relation commerciale, il peut être très difficile de comprendre l’accord avec la République Tchèque. On a l’impression que ces décrets sont un peu instrumentalisés par un groupuscule d’opérateurs économiques pour obtenir l’exonération de l’imposition sur tous les types de revenus, y compris l’impôt sur le revenu des sociétés, l’impôt sur le revenu des particuliers, les retenues à la source et les impôts sur les dividendes. Au moment où la BEAC a pris des mesures drastiques contre l’évasion fiscale organisée par les entreprises multinationales, la République Tchèque apparaîtrait comme un point de chute organisé des fonds en provenance du Cameroun. En 2022, le déficit de la balance commerciale du Cameroun avec la République Tchèque était de 234,5 millions de FCFA selon la FAO. Le Cameroun n’exporte rien en République Tchèque et y importe le lait et la viande de poulet. Par contre, la valeur commerciale avec la Chine représentait pendant la même période (2022), 1280 milliards de FCFA, ce qui est important.
Une convention fiscale à sens unique
Une convention fiscale doit être proportionnellement juste pour les deux pays. Au cas contraire , il s’agit du mercantilisme ou d’un accord à sens unique. Alors que l’on compte plusieurs dizaines de milliers de Chinois au Cameroun (les chiffres officiels sont obscurs), l’on ne compte que quelque 300 Camerounais en Chine (et principalement des étudiants). Cela s’ajoute aux conventions fiscales déjà signées auparavant par le Cameroun (avec la France, la Tunisie, le Canada, etc.) pour être à sens unique. Le bénéfice pour les citoyens camerounais n’est que résiduel. Pour que cela profite aussi aux Camerounais, la convention fiscale aurait concerné prioritairement des pays comme le Nigeria voisin : plus de 4 millions de Nigérians vivent au Cameroun et près de 100 000 Camerounais vivent au Nigeria, et le total de la valeur commerciale entre les deux pays représentait 166, 1 milliards de FCFA en 2022. En l’état, le Cameroun est toujours perdant dans ses relations internationales, ce qui consacre encore et encore sa politique économique extravertie.
Conclusion
Les décisions du gouvernement camerounais ne sont pas pro-camerounaises. Elles sont toujours néocoloniales. Elles éloignent toujours le pays de sa souveraineté. Il est clair que le Président Paul Biya ne travaille pas pour le Cameroun et pour les Camerounais. Ses actes administratifs et politiques ne respectent pas les principes de la proportionnalité et de la souveraineté qui protègeraient les intérêts de notre pays et de nos concitoyens. Cela fonde notre opposition à la politique du Renouveau. Et c’est pour cette raison qu’il doit partir en Octobre prochain.
Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR
Deuxième Vice-Président National du SDF
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