« Le vrai leadership commence là où l’éthique devient une boussole, pas une option ».
Par Charles Menye – Président du Comité Citoyen de Vigilance Financière CEMAC (CVFC)
Quand on découvre que son texte a inspiré une figure reconnue du coaching et du leadership africain, on pourrait d’abord se sentir honoré. Mais dans mon cas, ce sentiment a vite laissé à une gêne profonde.
En effet, quand le contenu de votre texte est repris presque mot pour mot, que l’ordre des exemples est identique, que les phrases clés sont légèrement reformulées, sans qu’aucune mention de l’auteur original n’apparaisse, il ne s’agit plus d’inspiration. Cela devient une méthode discutable. Et c’est précisément cela que je veux dénoncer ici, de manière responsable, factuelle et pédagogique.
J’ai publié il y a quelques semaines un texte intitulé “Quelles sont les banques qui vont disparaître en zone CEMAC ?”, structuré autour d’une série d’exemples bien connus : Kodak, Nokia, Blockbuster, puis Lehman Brothers, avant d’ouvrir sur le risque de disparition des banques peu innovantes dans la région. Ce texte posait une problématique originale : l’excès de confiance des géants peut les rendre aveugles à la nécessité d’évoluer. Il appliquait cette logique au monde bancaire sous-régional, à travers des signaux faibles, des symptômes visibles, et un “portrait-robot” de la banque en danger.
Quelques jours plus tard, Roland Kwemain publie un post pour promouvoir une masterclass payante — co-animée avec Émile D. Singeh, autour de leur livre TransformAction — intitulée “L’effet Kodak – Quand les géants refusent de changer”. Et là, les similitudes sautent aux yeux, jusque dans la formulation. Il ne s’agit pas d’un simple thème abordé par deux personnes : il s’agit de reprises quasi-littérales, en série.
La structure, les exemples, la progression intellectuelle, et même la punchline de conclusion sont repris point par point, sans la moindre mention de source.
Comparaison explicite des similitudes
Mon texte original
Texte de Roland Kwemain
Kodak dominait la photo. Nokia régnait sur la téléphonie. Blockbuster était incontournable dans la location de films.
Kodak, pionnier de la photographie… Nokia… Blockbuster… (ordre et fond identiques)
Kodak avait inventé l’appareil photo numérique, mais ne voulait pas tuer la pellicule.
Kodak a inventé l’appareil photo numérique… en 1975 ! Mais par peur de nuire à son marché de la pellicule…
Tous ont disparu non par faiblesse, mais par excès de confiance dans un modèle devenu obsolète.
Pourquoi ces géants s’effondrent-ils ? Arrogance du succès, peur du changement…
Dans la finance aussi, l’arrogance est un risque silencieux.
Ils croient être intouchables. Le risque leur fait peur. Leur taille rend l’adaptation lente.
Ce n’est pas le bilan qui compte, mais la capacité à sentir l’avenir.
Se réinventer est une nécessité, pas un luxe. Une entreprise qui refuse d’évoluer prépare son propre déclin.
Cette proximité n’est pas le fruit d’une simple coïncidence ou d’un thème populaire. Il s’agit ici d’une reprise séquentielle, avec des phrases-miroirs, mêmes les exemples sont dans le même ordre. Le tout repackagé comme contenu promotionnel pour une activité marchande. Tout est finement orchestré. On promet un leadership résilient, agile, impactant — le contenu idéal pour vendre une formation à 25 000 FCFA (avec une offre à 20 000 FCFA)
Ce n’est pas une erreur. Une méthode. Et c’est cela que j’interpelle.
De James Brown à Roland Kwemain : la longue histoire du vampirisme intellectuel
Ce que j’ai vécu n’est pas un simple oubli. Cela s’inscrit dans une histoire longue, banale et problématique : celle du vampirisme intellectuel. Ce phénomène consiste à se nourrir du travail des autres pour se renforcer soi-même, se faire de l’argent, sans reconnaissance ni rétribution.
C’est Manu Dibango, dont le Soul Makossa a été repris sans autorisation par Michael Jackson et Rihanna.
C’est Talla André Marie, dont Hot Koki a inspiré James Brown sans aucun crédit.
C’est Zangaléwa, chanté par les Golden Sounds, devenu Waka Waka par Shakira… avant qu’une vague d’indignation n’oblige à reconnaître la source.
Et aujourd’hui, c’est un texte publié sur les réseaux sociaux, humblement, repris quasiment mot pour mot dans une publicité professionnelle.
Le vampirisme intellectuel, c’est cette manière de briller à partir du sang créatif des autres. Cela peut sembler anodin, mais c’est une forme d’extraction, une prédation douce, mais corrosive. Surtout quand elle est exercée par des personnes d’influence, des figures visibles, censées incarner l’exemplarité.
Les conséquences potentielles sont bien réelles – Éthique, Droit, Réputation
Ce type de pratiques n’est pas qu’une question de politesse ou de reconnaissance : il en va aussi d’une responsabilité morale, juridique et réputationnelle.
Sur le plan éthique, cela alimente une culture de l’appropriation, où seuls les plus visibles bénéficient des fruits de la réflexion collective, pendant que ceux qui créent dans l’ombre sont ignorés, effacés, rendus invisibles.
Sur le plan juridique, les textes sont clairs. Au Cameroun, la loi n°2000/011 du 19 décembre 2000 sur le droit d’auteur protège toute œuvre originale dès sa création. Il n’est pas nécessaire de la déposer officiellement pour que l’auteur bénéficie de droits : le simple fait d’écrire un texte original lui confère une protection automatique. Cette loi garantit à l’auteur :
Un droit moral : le droit d’être reconnu comme créateur de l’œuvre (paternité), et le droit au respect de l’intégrité de son texte.
Des droits patrimoniaux : l’exclusivité sur la reproduction, la diffusion ou l’exploitation commerciale de son œuvre.
Le Cameroun est également partie à l’Accord de Bangui, à travers l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle). Ce cadre régional confirme la reconnaissance de ces droits dans l’ensemble des 17 pays membres.
Dans le cas précis où un texte est repris dans une publicité ou une formation à but lucratif, sans autorisation et sans mention de l’auteur original, la contrefaçon intellectuelle peut être caractérisée. Et ce n’est pas un simple reproche moral : c’est une infraction.
Le Code pénal camerounais prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 10 millions de FCFA d’amende, sans compter les dommages et intérêts en cas de préjudice prouvé.
En clair : reprendre un contenu sans citer son auteur dans un cadre professionnel ou commercial n’est pas seulement injuste — c’est potentiellement illégal.
Et sur le plan réputationnel, plus subtilement, on prend un risque majeur : car bâtir sa légitimité sur des “emprunts” non assumés, c’est construire un nom… qui sonne faux. Cela laisse une trace. Une fissure dans l’image d’exemplarité.
Inspirer n’est pas copier. Citer ne diminue personne.
Pour éviter de glisser dans l’abus, il existe pourtant des repères simples, que chacun – coach, formateur, entrepreneur, communicant – devrait garder à l’esprit.
S’inspirer, c’est faire preuve de créativité à partir d’une idée existante, en la transformant, en la dépassant, en l’inscrivant dans une démarche nouvelle.
Citer, c’est reconnaître humblement qu’une pensée ou une formulation n’est pas de soi, mais qu’elle nous a nourries. Et loin d’enlever du mérite, cela témoigne de rigueur et d’élégance intellectuelle.
Plagier, en revanche, c’est reproduire sans mentionner. C’est s’approprier une structure, des exemples, un raisonnement, voire une tournure… sans jamais en révéler la source. C’est effacer l’auteur d’origine pour mieux briller à sa place.
Dans mon cas, tout — ou presque — a été repris : le cheminement intellectuel, les exemples, l’alerte sur la peur du changement, jusqu’à la chute “le confort peut tuer”. Il ne reste qu’un nom manquant : celui de l’auteur d’origine.
Pourquoi c’est grave ?
Parce que derrière ce qui pourrait passer pour un “détail”, se cache en réalité une dynamique délétère qui gangrène peu à peu notre écosystème intellectuel et entrepreneurial. Lorsque des figures influentes se permettent de s’approprier des contenus sans citer leurs sources, elles participent à la construction d’un monde profondément injuste, où la visibilité devient plus importante que la création, et où les projecteurs éclairent ceux qui captent, non ceux qui produisent.
Cette pratique contribue à installer ce que l’on pourrait appeler une culture du pillage ordinaire, dans laquelle les idées – surtout lorsqu’elles sont africaines, locales, ou issues de voix peu médiatisées – sont systématiquement sous-évaluées, minorées, ou tout simplement effacées. Une idée née dans un quartier, dans un blog, sur un réseau social, peut être reprise, polie, présentée par quelqu’un de “connu”… et soudain, elle devient respectable. Cette hiérarchie silencieuse entre “petits penseurs” et “grands noms” tue lentement la diversité intellectuelle et freine l’émergence d’un véritable respect du travail.
Mais plus encore, cela décourage. Cela étouffe les créateurs sincères, les jeunes penseurs, les chercheurs engagés, les passionnés discrets, qui publient pour faire avancer les débats, pas pour récolter des lauriers. Ils se demandent : “À quoi bon penser, si d’autres viendront s’attribuer mon effort ?”
À terme, ce mécanisme appauvrit tout le monde. Il rend le débat public plus pauvre, moins innovant, moins juste. Il prive l’Afrique d’une de ses plus grandes richesses : la capacité de ses esprits à éclairer son propre chemin.
Ce que nous devons absolument changer
C’est une alerte, une opportunité. Car au-delà de mon cas personnel, c’est une problématique plus large qui se pose : celle de nos pratiques intellectuelles collectives, à l’heure des réseaux sociaux, de la communication de masse et de la course à l’influence.
Aujourd’hui, il devient courant de voir des coachs, conférenciers, influenceurs ou formateurs puiser librement dans les publications LinkedIn, les articles de blog, ou les réflexions originales de leurs contemporains… sans jamais citer leurs sources, comme si ces idées étaient nées spontanément sous leur plume. Cette banalisation de l’appropriation silencieuse crée un climat où la créativité devient une ressource qu’on extrait, qu’on embellit, qu’on vend — sans jamais en reconnaître l’origine.
Il est temps que cela cesse.
Reconnaître le travail des autres n’est pas un aveu de faiblesse. C’est au contraire une preuve de grandeur. Citer ses sources, ce n’est pas se diminuer, c’est faire preuve d’élégance, d’humilité, de responsabilité. C’est dire : “Je me tiens sur les épaules de ceux qui m’ont inspiré.” Et cela ne fait jamais tomber. Cela élève.
Conclusion : Éthique et exemplarité vont de pair
À Roland Kwemain, je dis ceci : oui, c’est un honneur d’avoir été lu par vous. Cela signifie que ma réflexion a su trouver un écho au-delà de mon cercle. Mais cet honneur fut terni par une omission essentielle : celle de me citer. Ce n’est pas la diffusion de mes idées qui me dérange — c’est leur réappropriation silencieuse, surtout quand elle devient un argument commercial. Vous avez reconnu en partie cette erreur, et cela vous honore. Mais cela vous oblige aussi, en tant que figure publique, à plus de vigilance, car l’exemplarité commence là où l’influence devient responsabilité.
Et à tous ceux qui pensent, écrivent, innovent, souvent sans titre, sans plateforme, sans micro : ne sous-estimez jamais la valeur de vos idées. Ce n’est pas parce qu’elles sont modestes, locales, ou publiées sans prétention qu’elles sont faibles. Elles comptent. Elles nourrissent le débat. Elles éclairent parfois des figures bien plus visibles, qui oublient trop souvent de regarder d’où leur lumière vient.
Une idée peut transformer une entreprise, inspirer une politique, déclencher une prise de conscience. À condition qu’on la respecte. Et le respect commence par un mot simple : “merci”.
Ce texte, je l’écris pour tous ceux que l’on copie sans reconnaissance, dans l’ombre, pendant que d’autres montent sur scène, récoltent les lauriers… et les revenus. Je l’écris pour rappeler que la création, même silencieuse, mérite mention, respect et rétribution. Ce n’est pas une exigence. C’est un fondement éthique et surtout une obligation légale.
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