Majestueuse, mais fatiguée. C’est ainsi que se présente aujourd’hui la préfecture de Bafia, bâtiment historique au charme suranné, emblème d’une époque et témoin silencieux d’un pan de l’histoire coloniale du Cameroun. Perchée au cœur du chef-lieu du Mbam-et-Inoubou, cette bâtisse à l’allure imposante, héritée de la période coloniale allemande, semble désormais vaciller sous le poids du temps et de l’indifférence.
Un patrimoine architectural en péril
Construite selon les principes de l’architecture coloniale tropicalisée, la préfecture impressionne par sa toiture en pente abrupte, ses murs en pierres apparentes, ses galeries ventilées et son balcon à motifs géométriques. Ce style, alliant rationalité germanique et adaptation au climat équatorial, visait autant la fonctionnalité que la durabilité. Mais si le bâtiment tient encore debout, il ne tient plus qu’à un fil.
Selon des sources historiques concordantes, la construction de cet édifice remonterait aux alentours de 1920, à l’issue de la première guerre mondiale. Il aurait été érigé par des prisonniers de guerre, dans le contexte des mandats coloniaux, lorsque l’administration allemande, puis française, exploitait une main-d’œuvre forcée pour ses infrastructures. Fait peu connu, la préfecture abriterait un sous-sol ayant servi de cachot, probablement utilisé pour la détention administrative ou disciplinaire, un rappel sombre mais fondamental de l’histoire coloniale locale.
Aujourd’hui, toiture percée, peinture défraîchie, balcon fissuré, installations électriques vétustes : les signes de décrépitude s’accumulent. À l’intérieur, l’humidité gagne du terrain, menaçant aussi bien les archives que les conditions de travail des agents de l’État. Symbole de l’autorité administrative, la préfecture est aujourd’hui un édifice en souffrance, déserté par l’entretien et la volonté politique.
Pourtant, ce bâtiment n’est pas qu’un simple lieu administratif. Il est le reflet d’une époque, le témoin d’un art de construire adapté à l’environnement, et surtout un patrimoine commun. Sa restauration serait bien plus qu’un geste esthétique : ce serait un acte de mémoire, une reconnaissance de la valeur historique et architecturale du site. Cela permettrait aussi d’en faire un pôle d’attractivité, un repère culturel pour les jeunes générations et les visiteurs de passage.
Parmi les pistes de restauration à envisager, figure une approche audacieuse basée sur l’expertise locale. La mise à contribution des lycées techniques, de l’École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé, de l’École Nationale Supérieure des Travaux Publics, ou encore de l’Université Inter-États Cameroun-Congo du Bois (UIT Bois), pourrait permettre de mobiliser un vivier de compétences nationales en ingénierie, menuiserie, construction durable et restauration patrimoniale. Cette synergie entre formation et terrain favoriserait un chantier-école, créateur de savoir-faire, de fierté locale et d’économie circulaire.
Mais au-delà des institutions, c’est aussi l’élan collectif qui doit jouer. L’élite du Mbam, les fils et filles de la région, les associations de ressortissants ainsi que la diaspora camerounaise, particulièrement celle originaire du Mbam-et-Inoubou, sont appelés à se mobiliser. « Le patrimoine ne se défend pas uniquement par les discours, mais par des engagements concrets : mécénat, parrainage, plaidoyer, contribution technique ou financière. C’est ensemble que nous pourrons redonner vie à ce symbole qui appartient à tous », plaide un occupant des lieux.
L’heure est venue d’agir. Les collectivités locales, les autorités centrales, les partenaires au développement et les défenseurs du patrimoine doivent s’unir pour sauver ce joyau avant qu’il ne soit trop tard. Une restauration respectueuse, intégrant des matériaux durables et les savoir-faire traditionnels, redonnera à la préfecture son éclat d’antan tout en l’inscrivant dans l’avenir.
À Bafia, la mémoire s’effrite pierre après pierre. Mais il est encore temps d’inverser le cours des choses. Le patrimoine, lorsqu’il est restauré, inspire. Lorsqu’il est abandonné, il disparaît.
Louis Ebene
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