Je reviens du Gabon. Et ce que j’y ai vu m’a remué. Ce n’est pas seulement la beauté tranquille du littoral gabonais, ni les sourires pleins d’espoir que l’on croise dans les rues de Libreville. C’est ce frisson collectif, ce souffle nouveau que l’on sent, presque physiquement, dans l’air. Un peuple s’est levé. Un peuple a décidé d’écrire une autre histoire. Une histoire sans la tribu au centre.
Pierre Laverdure Ombang, journaliste
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Pierre Laverdure Ombang : au Gabon, un peuple s’est levé pendant que le Cameroun s’enlise dans la tribu

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Je reviens du Gabon. Et ce que j’y ai vu m’a remué. Ce n’est pas seulement la beauté tranquille du littoral gabonais, ni les sourires pleins d’espoir que l’on croise dans les rues de Libreville. C’est ce frisson collectif, ce souffle nouveau que l’on sent, presque physiquement, dans l’air. Un peuple s’est levé. Un peuple a décidé d’écrire une autre histoire. Une histoire sans la tribu au centre.

Ce que le Gabon a réussi en quelques mois, c’est une mutation politique et psychologique rare sur notre continent. Ce pays, longtemps dirigé par une même famille depuis 1967, a connu le choc d’une transition brutale. Mais la surprise, ce n’est pas la chute d’Ali Bongo. C’est ce qui a suivi : le dépassement pacifique des appartenances tribales pour faire nation. Une prise de conscience nationale qu’il fallait tourner la page, ensemble, sans chercher un sauveur ethnique, sans replonger dans les vieilles fractures.

J’ai écouté des commerçants fang, des fonctionnaires nzébi, des jeunes activistes punu. Aucun ne m’a parlé de son ethnie comme d’un totem politique. Tous parlaient du Gabon, de la justice, de l’État, de la nation. Tous avaient compris que la vraie fracture, aujourd’hui, n’est plus entre groupes culturels, mais entre une minorité accrochée au pouvoir et un peuple qui aspire à la dignité.

Et dans cette dynamique, c’est presque naturellement que le général Brice Clotaire Oligui Nguema s’est imposé, non pas en tant que représentant d’un groupe ethnique ou d’un réseau militaire, mais comme un visage nouveau capable de faire rupture. Ce que le peuple gabonais a voulu, c’est un président, pas un cousin. Un dirigeant pour le pays, pas pour la région.

C’est ce dépassement que je ramène avec moi au Cameroun. Et c’est là que le contraste fait mal.

Chez nous, au Cameroun, la tribu n’est pas seulement une réalité culturelle, elle est devenue la colonne vertébrale du système. Depuis l’arrivée au pouvoir de Paul Biya en 1982, les clivages ethniques ont été entretenus, cultivés, institutionnalisés. Sous couvert d’équilibres régionaux, c’est un modèle d’exclusion silencieuse qui s’est construit. Les postes clés de la République sont souvent distribués selon des critères d’appartenance plus que de compétence. Le débat public est miné par des suspicions ethniques. La critique politique est perçue comme une attaque contre un groupe. Le mérite est étouffé par l’allégeance.

Le Cameroun est devenu un archipel de tribus méfiantes, chacune protégée par ses élites, repliée sur ses blessures, et hostile à tout projet commun. Pire encore, le pouvoir a appris à jouer de ces divisions pour régner. Pendant que les citoyens se soupçonnent entre eux, les vrais maîtres du jeu consolident leur emprise. C’est un théâtre cruel, où l’on met en scène l’unité tout en creusant la fracture.

Ce tribalisme n’est pas un folklore bénin. C’est un poison lent qui tue la nation de l’intérieur. Il mine l’éducation, la justice, l’administration. Il empêche les meilleures énergies de s’exprimer. Il fait de l’État un gâteau à partager entre initiés au lieu d’un projet à construire ensemble. Il empêche l’alternance, parce qu’il transforme chaque élection en affrontement communautaire.

Et pourtant, ce n’est pas une fatalité. La preuve : le Gabon. Rien ne prédestinait ce pays à réussir un tel saut. Mais il l’a fait. Parce qu’un moment est venu où la conscience nationale a supplanté les réflexes identitaires. Parce qu’un seuil de souffrance a été atteint. Parce que le peuple a compris que le vrai ennemi n’était pas le voisin d’une autre tribu, mais le système qui les enfermait tous.
Le Cameroun peut apprendre du Gabon qu’aucune réforme n’est possible sans un sursaut collectif. Que le changement ne viendra ni d’un homme providentiel, ni d’une ethnie dominante, mais d’un peuple qui accepte de se voir d’abord comme citoyens, égaux en droits et en devoirs.

Il faut briser le tabou du tribalisme. En parler franchement. Dénoncer ceux qui l’utilisent pour prospérer. Et surtout, éduquer notre jeunesse à penser en termes de nation et non de clans. Car aucun avenir n’est possible dans un pays où les diplômes se confrontent aux patronymes, où les régions s’affrontent au lieu de s’unir.

Je reviens du Gabon. Et j’y ai vu un miroir. Un miroir tendu au Cameroun. Le reflet d’un possible. Le reflet d’un réveil.

Reste à savoir si nous aurons, nous aussi, le courage de regarder en face.-

Pierre Laverdure Ombang

Journaliste

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