La session parlementaire de juin 2025, habituellement dédiée au Débat d’Orientation Budgétaire (DOB), s’est achevée sans véritable discussion. Le Premier ministre Joseph Dion Ngute, attendu le 1er juillet, a reporté sa présentation au 7 juillet, juste avant la clôture des travaux. Ce délai témoigne d’une dérive d’un État en proie à des défaillances de planification et de gouvernance.
Aucun document substantiel n’était disponible à temps. Le gouvernement, et plus particulièrement le ministère des Finances, a échoué à fournir un Document de Programmation Économique et Budgétaire à Moyen Terme (DPBMT) actualisé pour 2026-2028. La version en circulation se limite à un simple copier-coller de l’exercice précédent, incluant des projets déjà réalisés, tels que le barrage de Nachtigal, présentés comme des objectifs futurs.
Cette opacité suscite colère et indignation au sein de l’opposition. Louis-Marie Kakdeu, vice-président du Social Democratic Front (SDF), dénonce une « mascarade » budgétaire et un « bricolage » gouvernemental inacceptable face aux enjeux économiques du pays. Il met en lumière un système technocratique sclérosé, symbolisé par l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM), devenue le symbole du déclin administratif.
L’ENAM, matrice d’un système inefficace
Autrefois perçue comme un tremplin vers les hautes sphères de l’administration camerounaise, l’ENAM est aujourd’hui critiquée pour son rôle dans le clientélisme et le népotisme, au détriment de la compétence. Selon ses détracteurs, l’école forme des cadres incapables de relever les défis contemporains. « Nos autocrates, formés pour la plupart à l’ENAM, savent dépenser mais ne savent pas produire », résume M. Kakdeu.
Pour lui, l’école est devenue « le temple de l’incompétence », incapable de fournir à l’État les ressources humaines nécessaires à la transformation économique. Il appelle à sa fermeture et préconise un recrutement ouvert d’experts qualifiés, plutôt qu’un recyclage de « fils à papa » inadaptés aux exigences modernes.
Un Premier ministre marginalisé, un État disloqué
Le fiasco du DOB 2025 met également en lumière un déséquilibre institutionnel. Tandis que le Premier ministre devait présenter les grandes orientations économiques, une réunion au Secrétariat général de la présidence a été convoquée le même jour, impliquant ministres et parlementaires. Le message est clair : le pouvoir se déplace.
« Le Premier ministre n’est plus qu’un dindon de la farce », déplore Louis-Marie Kakdeu, qui voit en Joseph Dion Ngute une figure écartée des décisions essentielles, à qui l’on refuse même le rôle de directeur de campagne pour la prochaine élection présidentielle.
Dans un pays où la dette publique a explosé, passant de 500 à près de 15 000 milliards de francs CFA en quinze ans, l’absence de débat budgétaire constitue une alerte majeure. Pour l’économiste et politologue, le Cameroun est au bord de la rupture.
Un cri d’alarme politique et économique
Alors que les bailleurs de fonds internationaux commencent à se montrer réticents à financer un État chroniquement déficitaire, l’opposition appelle à une refondation complète de l’architecture gouvernementale. Louis-Marie Kakdeu estime qu’un budget national digne de ce nom devrait atteindre au moins 15 000 milliards FCFA pour répondre aux engagements sociaux. Cela nécessite une véritable stratégie de production et de valorisation des ressources nationales, ainsi qu’une administration compétente.
« Il faut produire localement, créer de la richesse, et pour cela, rompre avec l’élite administrative stérile formée à l’ENAM », insiste-t-il.
L’appel est lancé : 2025 doit être l’année du sursaut ou du naufrage. Pourtant, face aux signaux actuels, le Cameroun semble s’enfoncer dans l’inertie, pris en otage par une technocratie inefficace et une gouvernance verrouillée.
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