Dans une déclaration d’une rare virulence, huit personnalités du fief de Paul Biya dénoncent 43 ans de « règne sans partage » et appellent à un sursaut citoyen avant la présidentielle d’octobre 2025.
Paul Biya, président de la République du Cameroun
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Cameroun : l’appel fracassant du Sud à briser « l’éducation à la servitude »

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Dans une déclaration d’une rare virulence, huit personnalités du fief de Paul Biya dénoncent 43 ans de « règne sans partage » et appellent à un sursaut citoyen avant la présidentielle d’octobre 2025.

Une rupture historique

Le ton est grave, la plume acérée. Huit figures éminentes de la région du Sud-Cameroun, bastion historique du président Paul Biya, viennent de lancer un appel sans précédent. Intitulé « Embarquons résolument dans le train du bonheur ! », leur manifeste, publié ce 18 juin 2025, fustige quatre décennies de « règne sans partage » et exhorte leurs compatriotes à rejeter ce qu’ils qualifient d’« éducation humiliante à la servitude, volontaire ou forcée ».

À quelques mois d’une élection présidentielle cruciale, ce cri de révolte émanant du berceau politique du régime en place sonne comme un électrochoc. Il brise un silence longtemps interprété comme assentiment.

Le Sud, entre mythe et réalité

« Depuis 43 ans, Monsieur Paul Biya règne sans partage sur le Cameroun », assènent les auteurs, balayant d’un revers de main l’illusion d’un Sud unanimement acquis au pouvoir. Et de dénoncer une marginalisation silencieuse : bien que plusieurs ministres et directeurs généraux soient originaires de la région, « la majorité des populations du Sud végète dans la pauvreté et l’isolement ».

Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS), la région du Sud affiche un taux de pauvreté monétaire supérieur à 56 % en 2023, contre une moyenne nationale de 37,5 %. Plusieurs localités comme Ngoyla, Djoum ou Mintom restent enclavées, avec des routes impraticables durant la saison des pluies. À Ebolowa, le comice agropastoral de 2011 – événement phare censé impulser un développement régional – a laissé derrière lui des infrastructures inachevées et des promesses oubliées.

Le chômage des jeunes y atteint 39 %, selon une étude de l’Observatoire national de l’emploi et de la formation professionnelle publiée en 2024.

Une loyauté instrumentalisée

Les auteurs rejettent avec vigueur l’image d’un Sud naturellement fidèle au chef de l’État. « Soutenir ce mensonge, c’est prendre les populations du Sud pour des esclaves », écrivent-ils. « Comment rester attaché à un homme qui n’a affiché que condescendance et distance ? »

Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, ne s’est pas adressé publiquement à ses électeurs dans la région du Sud depuis le meeting d’Ebolowa en 1992. Depuis, le président n’a plus participé à aucun rassemblement politique dans sa région natale, se contentant de rares visites officielles. « Le Sud comme socle granitique du RDPC est un slogan de griot », tranchent les signataires.

Élite disqualifiée, martyrs honorés

Le texte attaque sans détour les relais locaux du pouvoir, qualifiés d’« élite impopulaire » et d’« agents de la terreur », passés maîtres dans l’art de la fraude électorale. Les auteurs dépeignent un système néo-féodal : « un jeune obtient un poste dans la police contre plusieurs hectares de terres », écrivent-ils, dénonçant des pratiques de prédation déguisées en faveurs politiques.

En contrepoint, ils saluent la mémoire de figures emblématiques du Sud présentées comme victimes de la répression du régime : le sociologue Jean-Marc Ella, l’écrivaine Marthe Ekemeyong épouse Moumié, le militant indépendant Abel Eyinga, le journaliste Charles Ateba Eyene, ou encore l’ancien directeur de la CRTV, Gervais Mendo Ze.

L’ultimatum de 2025

La présidentielle d’octobre prochain est perçue comme un tournant majeur. Deux voies s’ouvrent aux citoyens, selon le manifeste : « le silence, la peur et la passivité » ou « l’engagement, l’action et le changement ». La formule est sans appel : « Prenez votre destin en mains. Devenez des citoyens, non plus des sujets exposés à la risée des hommes libres. »

Un séisme politique en gestation ?

Cet appel, lancé depuis le cœur symbolique du pouvoir, pourrait marquer un tournant dans l’histoire politique camerounaise. À l’image d’autres régions africaines longtemps considérées comme des bastions inébranlables, le Sud-Cameroun semble désormais secouer le joug d’une allégeance imposée. Reste à savoir si cette déclaration, aussi cinglante soit-elle, parviendra à mobiliser au-delà des cercles intellectuels et à infléchir le cours d’une présidentielle dont les règles semblent déjà écrites. Dans cette région meurtrie mais fière, l’espoir d’un changement se heurte encore au poids des habitudes et à la force des appareils.

Signataires de la déclaration du 18 juin 2025

Dr. Appollinaire Legrand Oko, Pr. Jean Calvin Aba’a Oyono, M. Marcel Ebène, Mme Joane Christelle Mendomo, M. Emmanuel Foumand Nti, M. Narcisse Evina Ongotto, M. Paul Freddy Oyono, M. Willy Mengue.

« Nous n’avons plus le choix. Les populations de notre région ne doivent plus avoir pour seul destin la souffrance et le silence… »

Simon Keng

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