À l’occasion de la deuxième édition de la Foire artisanale du cauris, bambous et perles végétales, la ville de Bafia, dans la région du Centre au Cameroun, a vécu, jeudi 26 juin, un moment artistique marquant : un défilé de mode atypique, ancré dans la tradition locale, mais résolument tourné vers l’innovation.
Orchestré par la styliste camerounaise Madame Akono (figure montante de l’industrie de l’habillement en Afrique centrale), l’événement a mêlé élégance, artisanat et symbolique culturelle avec un sens affirmé de la scénographie. Devant un public nombreux rassemblé sur l’esplanade de la préfecture, neuf mannequins (dont un homme) ont présenté deux séries de créations vestimentaires portées par une ambition : inscrire le vêtement africain dans les codes d’une esthétique mondiale sans renier ses racines.
Le pagne, le Kaba et… l’organsie
Le premier tableau du défilé met en lumière le tissu pagne, omniprésent dans l’habillement quotidien et cérémoniel en Afrique subsaharienne. Sous les projecteurs, les modèles aux coupes contemporaines ont été sublimés par une démarche maîtrisée des mannequins, saluée par le public pour sa sobriété et son professionnalisme (une rareté dans une ville comme Bafia, peu habituée à ce genre de performances).
Le second tableau propose une relecture du Kaba Ngondo, robe traditionnelle issue des peuples de la côte camerounaise, habituellement ample et monochrome. Madame Akono l’a retravaillée dans une matière textile peu connue du grand public : l’organsie, un dérivé de polyester à l’apparence légère et soyeuse. Le résultat, audacieux sans être iconoclaste, a su séduire un public conquis par cette hybridation entre patrimoine et modernité.
Des parures d’orfèvre issues de la nature
Chaque tenue a été complétée par des bijoux et ornements confectionnés par Witaka Mbataka, maître artisan bijoutier, spécialiste reconnu des cauris et des perles végétales. Sa démarche, qu’il qualifie d’orfèvrerie du vivant, s’ancre dans la valorisation des matières locales, transformées à la main selon des procédés artisanaux ancestraux. Ses créations, sobres et symboliques, ont apporté une profondeur supplémentaire à l’ensemble du spectacle.
« Chaque parure raconte une histoire. Les cauris ont toujours été un langage. Le bijou, ici, est un messager silencieux », explique l’artisan, entre deux salves d’applaudissements.
La touche contemporaine de Jade Slamour
Mais l’élément de surprise du défilé est venu de l’intervention de l’artiste multidisciplinaire Jade Slamour, qui a réalisé sur chaque mannequin une œuvre éphémère de bodypainting. Inspirée par les motifs traditionnels comme par l’art abstrait, sa peinture corporelle a conféré aux mannequins une dimension sculpturale, presque rituelle. Son coup de pinceau, net et poétique, a été unanimement salué. « Le corps devient toile. Il porte le tissu, il porte l’ornement, il devient lui-même œuvre », résumait un critique invité pour l’occasion.
Une ville en quête d’identité culturelle forte
Ce moment de grâce, rare à Bafia, participe d’un mouvement plus large impulsé par l’Association Wissûmatê, organisatrice de la foire, qui milite pour la reconnaissance de l’artisanat comme levier économique et outil de cohésion culturelle. Dans une région souvent marginalisée dans les circuits culturels nationaux, l’ambition est claire : faire de Bafia un pôle de création et de valorisation du patrimoine immatériel.
« Ce que nous construisons ici, ce n’est pas une simple foire, mais un écosystème », souligne Witaka Mbataka, coordonnateur de l’événement. Il ajoute : « Nous voulons que les jeunes s’approprient leur héritage, qu’ils l’habitent et qu’ils le fassent évoluer».
Un modèle de développement culturel à suivre ?
Au-delà de la réussite artistique, ce défilé interroge : la tradition peut-elle devenir motrice d’innovation ? À Bafia, la réponse semble être oui. Il reste maintenant à pérenniser l’initiative, à former une relève, et à convaincre les pouvoirs publics et les partenaires privés de miser sur un secteur qui, plus que jamais, conjugue identité, économie et avenir.
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