L’annonce de la candidature de Maurice Kamto à l’élection présidentielle camerounaise d’octobre 2025 sous les couleurs du MANIDEM (Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie) a suscité une onde de choc dans le microcosme politique national.
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Élection présidentielle : Claude Abé décrypte les véritables gagnants de la candidature Kamto-MANIDEM

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L’annonce de la candidature de Maurice Kamto à l’élection présidentielle camerounaise d’octobre 2025 sous les couleurs du MANIDEM (Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie) a suscité une onde de choc dans le microcosme politique national.

Présentée par ses partisans comme un « coup politique historique », cette décision suscite cependant des lectures plus nuancées chez certains intellectuels. C’est notamment le cas du sociologue Claude Abé, professeur à l’Université catholique d’Afrique centrale, dont la prise de parole interroge les arrière-plans stratégiques de cette alliance inattendue.

Un choix par défaut plus que stratégique

Pour Claude Abé, le ralliement de Maurice Kamto au MANIDEM n’a rien d’une manœuvre de haute stratégie. Il s’agirait, au contraire, d’un choix contraint, dicté par l’impasse juridique et politique dans laquelle se trouve désormais le MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun), le parti dirigé par l’ancien ministre délégué à la Justice. « Après avoir renoncé à participer aux municipales et législatives, puis échoué à remplir les conditions de parrainage pour une candidature autonome, il ne restait plus à Maurice Kamto que la voie d’un parti déjà enregistré », observe le sociologue.

Loin de témoigner d’un sens tactique affûté, ce revirement traduirait avant tout les limites structurelles du MRC et l’incohérence d’une ligne politique alternant boycott et repli institutionnel. Une dynamique d’improvisation qui, selon Abé, interroge la capacité du leader de l’opposition à bâtir une stratégie électorale cohérente et durable.

Le MANIDEM et Anicet Ekanè, véritables bénéficiaires

Dans ce jeu d’alliances improbables, le grand gagnant est sans doute le MANIDEM, parti de la gauche radicale camerounaise, jusqu’ici marginalisé dans l’arène électorale. Grâce à la candidature de Maurice Kamto, cette formation obtient une visibilité nationale inédite. « Il a suffi au MANIDEM d’un seul conseiller municipal pour se hisser au cœur de la présidentielle », note Claude Abé dans une publication largement relayée sur les réseaux sociaux.

Autre bénéficiaire direct : Anicet Ekanè, leader historique du MANIDEM. En acceptant ce rapprochement politique malgré de profondes divergences idéologiques avec le MRC, ce dernier aurait démontré, selon Abé, une hauteur de vue et une rare capacité à transcender les clivages partisans. Dans un contexte marqué par la polarisation et les invectives numériques, notamment à son encontre, Ekanè fait preuve d’un sang-froid stratégique, là où les militants de l’opposition radicale privilégient souvent la fermeture idéologique. Une posture qu’Abé considère comme un modèle d’ouverture dans une opposition fragmentée.

Un portrait sévère de l’égocentrisme politique

Mais au-delà du constat tactique, l’analyse de Claude Abé dessine en creux un portrait sévère de Maurice Kamto. Celui-ci est présenté comme un homme politique mû par une logique de mise en scène personnelle, peu soucieux des conséquences humaines et politiques de ses choix. Claude Abé évoque les trajectoires brisées de figures comme Michèle Ndocky ou Célestin Djamen, l’isolement de compagnons de route tels qu’Alain Fogué et Bibou Nissack, ainsi que les vies bouleversées par les répressions post-électorales.

« Tout dans cette séquence trahit un égotisme sans limite », tranche le sociologue, qui voit dans cette opération une démonstration éclatante de recentrage autoritaire autour d’une figure unique, soutenue par une armée numérique parfois violente envers toute voix dissidente. À rebours de l’image d’unificateur que ses partisans veulent promouvoir, Maurice Kamto apparaîtrait ici comme le révélateur d’une culture politique tournée vers la verticalité et l’exclusion.

Une leçon d’humilité politique

Pour Claude Abé, cette séquence invite à une relecture profonde de la manière dont l’opposition camerounaise conçoit la conquête du pouvoir. Loin d’être une démonstration de force, l’alliance Kamto-MANIDEM révélerait plutôt les faiblesses structurelles d’un projet politique centré sur une personnalité unique. « Ce n’est pas la stratégie qui fait le leadership, c’est la capacité à fédérer sans écraser », conclut-il.

En filigrane, se dessine un appel à la construction d’alternatives plus inclusives, moins marquées par le culte de la personnalité, et davantage fondées sur le dialogue, la concertation et le respect mutuel. Une leçon d’humilité politique, selon le sociologue, que devraient méditer toutes les forces de changement au Cameroun.

Une parole d’intellectuel libre et rigoureux

Claude Abé n’en est pas à sa première intervention publique sur les enjeux politiques et sociaux camerounais. Professeur de sociologie à l’Université catholique d’Afrique centrale, il est reconnu pour ses travaux sur les identités, les inégalités structurelles, les dynamiques communautaires et les recompositions du pouvoir en Afrique centrale. Auteur de plus d’une cinquantaine de publications scientifiques, il s’est notamment illustré par ses études sur les discriminations éducatives (Rapports inégalitaires entre Pygmées et Bantous, Autrepart, 2011), l’émergence économique locale (Les nouvelles figures de l’entrepreneuriat au Cameroun, Bulletin de l’APAD, 2009), ou encore la sociologie en contexte africain (La globalisation de la sociologie en situation africaine, Canadian Journal of Sociology, 2008). Ses analyses sur les Zargina et les formes de criminalité transfrontalière en Afrique centrale font aujourd’hui autorité.

Figure exigeante du monde académique, Claude Abé s’impose comme l’un des rares intellectuels à conjuguer rigueur scientifique et engagement civique, à une époque où la pensée critique est souvent reléguée au second plan dans le débat public.

Louis Ébène

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