Depuis quelques semaines, les échos d’un règne en fin de cycle résonnent plus fort que jamais à Yaoundé. Dans les marchés, les taxis, les salons feutrés de l’élite et au sein des diasporas, une question s’impose, presque lancinante : qui prendra les rênes du pays après l’élection de 2025 ?
René Emmanuel Sadi et Jacques Fame Ndongo
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Cameroun : échos d’un règne crépusculaire

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Depuis quelques semaines, les échos d’un règne en fin de cycle résonnent plus fort que jamais à Yaoundé. Dans les marchés, les taxis, les salons feutrés de l’élite et au sein des diasporas, une question s’impose, presque lancinante : qui prendra les rênes du pays après l’élection de 2025 ?

À Yaoundé, les figures influentes du pouvoir s’efforcent de justifier la longévité d’un président devenu presque invisible, tandis que la société camerounaise bruine de rumeurs et d’angoisses autour de la succession de Paul Biya, au pouvoir depuis plus de quarante ans.

À 92 ans, dont 42 passés à la tête de l’État, Paul Biya (président du Cameroun depuis 1982) se fait de plus en plus discret. Son état de santé demeure un secret d’État, et ses apparitions publiques sont rares, parfois furtives. Dans ce contexte, les interviews croisées de deux figures du régime, René Emmanuel Sadi (ministre de la Communication) et Jacques Fame Ndongo (ministre d’État, ministre de l’Enseignement supérieur et porte-parole du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, RDPC), accordées à Christophe Boisbouvier sur RFI respectivement les 5 et 6 juillet 2025, ont été scrutées comme des oracles sur l’avenir d’un régime à bout de souffle.

Deux voix, un système

René Emmanuel Sadi (interviewé le 5 juillet 2025) adopte un ton gouvernemental. Il minimise la crise, évoquant un pays stable, « dirigé avec sagesse par un homme d’expérience ». Bien qu’il reconnaisse certains défis économiques, il les replace dans un contexte mondial marqué par les conséquences de la guerre en Ukraine et de la pandémie, laissant entendre qu’aucun obstacle n’est insurmontable.

Jacques Fame Ndongo (interviewé le 6 juillet 2025), quant à lui, s’exprime en stratège du parti. Sa rhétorique est plus subtile, presque byzantine. À la question de savoir si Paul Biya sera candidat en 2025, il répond, avec le calme d’un vieux félin : « Les textes du parti ne s’y opposent pas. Le président national est libre. Il décidera le moment venu. » Interrogé sur la santé du chef de l’État, il évacue la question : « Ce n’est pas le sujet. »

Une démocratie à sens unique

Dans un pays où l’opposition n’a jamais réussi à incarner une alternative crédible (ni lors de la présidentielle de 1992, ni lors des législatives ou municipales récentes), le pouvoir semble être confisqué par une élite dont l’intérêt personnel a fini par supplanter tout projet national.

Les institutions, bien que démocratiques sur le papier, semblent figées dans un fonctionnement minimaliste. La Constitution a été amendée à plusieurs reprises pour permettre la réélection du président sans limitation de mandats. Le Conseil constitutionnel (dont les membres sont nommés par le président) est rarement perçu comme indépendant. Le Code électoral est régulièrement dénoncé par des observateurs nationaux et internationaux, tels que le National Democratic Institute ou l’Union africaine, pour son manque de transparence.

Une économie qui s’essouffle

Parallèlement, le Cameroun s’enfonce dans une crise économique et sociale préoccupante. L’inflation ne cesse de croître. Selon la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), le taux d’inflation est passé de 2,9 % en 2022 à 7,5 % en 2024, touchant les produits de première nécessité. Le secteur informel continue d’absorber plus de 80 % de l’emploi urbain, tandis que le chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants.

Face à cela, le discours officiel persiste à affirmer que « tout va bien dans le meilleur des mondes possibles ». Le paradoxe est frappant. Une minorité au pouvoir, à l’abri des turbulences économiques, assure que le président demeure le choix du peuple. Pourtant, dans les rues de Douala, de Bafoussam ou de Maroua, un tout autre son de cloche se fait entendre.

La tentation de l’éternité

Le RDPC (véritable colonne vertébrale du régime) semble avoir aboli toute idée de finitude. Il continue à se présenter comme la seule force organisée et capable de gouverner. Les appels à la démission ou à l’alternance sont jugés irresponsables, voire subversifs.

Pour Jacques Fame Ndongo, « ce n’est pas une affaire de personnes, c’est une affaire de textes. Et les textes disent que Paul Biya peut être candidat ». Une phrase en apparence anodine, mais qui révèle l’esprit d’un régime préférant le statu quo à toute incertitude démocratique.

À force d’invoquer la loi pour masquer la réalité, le pouvoir camerounais risque de produire ce que les juristes appellent une instabilité téléologique (lorsque le droit, au lieu de garantir un équilibre, devient lui-même source de trouble par son inadéquation à la réalité).

Une succession verrouillée ?

La succession de Paul Biya est l’un des secrets les mieux gardés d’Afrique centrale. Certaines rumeurs évoquent son fils, Franck Biya (aperçu ces dernières années au sein de cercles de pouvoir), entouré d’un groupe de technocrates discrets surnommé le « Franckisme ». Cependant, cette option serait perçue comme une provocation dans un pays où les frustrations sociales atteignent un point critique.

L’armée (longtemps restée dans l’ombre) demeure un acteur clé. En 2019, la tentative de putsch en Guinée et les transitions militaires ailleurs en Afrique francophone ont alimenté les inquiétudes d’une dérive autoritaire ou d’un scénario de rupture brutale.

Le temps qui rattrape

À mesure que l’échéance électorale approche, la question n’est plus seulement de savoir qui gouvernera le Cameroun, mais comment cette transition se déroulera. Dans la rue, sur les réseaux sociaux, au sein de la société civile, les voix se multiplient pour appeler à un sursaut, à un débat national, à une refondation.

Pour l’heure, le régime reste droit dans ses bottes. Et la parole politique, chez certains de ses porte-voix, s’apparente parfois à un théâtre d’ombres.

 

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