À l’approche de l’élection présidentielle de 2025, les manœuvres de positionnement au sein des partis politiques camerounais mettent en lumière une contradiction saisissante : des leaders qui prônent les idéaux démocratiques, tout en s’en affranchissant dans les faits. La récente démission d’Abbo Yero, figure historique du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC), en est une illustration frappante.
Maurice Kamto et Issa Tchiroma Bakary
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FSNC, MRC,… : les contradictions d’un discours démocratique au sein des partis politiques

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À l’approche de l’élection présidentielle de 2025, les manœuvres de positionnement au sein des partis politiques camerounais mettent en lumière une contradiction saisissante : des leaders qui prônent les idéaux démocratiques, tout en s’en affranchissant dans les faits. La récente démission d’Abbo Yero, figure historique du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC), en est une illustration frappante.

Dans une lettre datée du 9 juillet 2025, rendue publique le même jour, Abbo Yero, fondateur du FSNC et ancien président du Mouvement des Jeunes du parti, a quitté ses fonctions avec fracas. Il dénonce la décision unilatérale du président national du FSNC de se porter candidat à la présidentielle, sans consultation ni validation des instances dirigeantes du parti.

« Une violation flagrante des textes de base », s’insurge Abbo Yero, qui critique un acte diamétralement opposé aux valeurs démocratiques que le FSNC prétend défendre. Il évoque un « coup fatal » porté aux principes fondateurs du mouvement et accuse la direction du parti d’un silence coupable face à ses multiples appels au respect du cadre statutaire.

Cette sortie fracassante s’inscrit dans un contexte politique tendu, marqué par des auto-investitures précipitées et non consensuelles, tant au sein des partis de la majorité que de l’opposition. Alors que les discours sur la réforme de l’État, la refondation institutionnelle et la participation citoyenne se multiplient, le mode de désignation des candidats révèle une culture politique verticaliste, où les décisions émanent d’en haut, sans débat interne ni validation collective.

Cette dérive ne concerne pas uniquement les formations proches du pouvoir. Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) est un exemple emblématique. Maurice Kamto, président national du parti, s’est récemment relancé dans la course présidentielle en mobilisant les foules lors de rassemblements improvisés, sans convocation formelle d’un congrès ni consultation élargie des instances militantes.

Des voix internes, bien que minorées publiquement, s’interrogent sur cette centralisation qui contredit les discours du MRC sur la gouvernance inclusive et l’État de droit. Ces préoccupations sont d’autant plus vives que le parti avait unilatéralement boycotté les élections législatives et municipales de 2020, privant ainsi ses militants d’une représentativité locale et nationale essentielle. Cette décision, prise par le président Kamto lui-même, est encore perçue comme une fracture au sein du mouvement.

« On ne peut pas se présenter comme le champion de la démocratie si l’on évite systématiquement le débat interne, les consultations collectives et les prises de décisions ouvertes », affirme un ancien cadre du MRC, sous couvert d’anonymat.

Le phénomène de personnalisation du pouvoir n’est pas nouveau au Cameroun. Depuis l’avènement du multipartisme en 1990, les partis d’opposition n’ont que rarement échappé à cette dérive. Les fondateurs, leaders charismatiques ou figures historiques s’arrogent souvent les pleins pouvoirs, reléguant les comités directeurs, congrès et autres organes de délibération à des rôles symboliques.

Cette tradition autoritaire, héritée du modèle post-indépendance centralisé, affecte aussi bien les micro-partis satellites du pouvoir que certaines formations plus critiques. Les résultats sont des candidatures annoncées par surprise, des décisions sans consultation, des exclusions déguisées et une base militante instrumentalisée.

À l’approche du scrutin de 2025, chaque prétendant à la magistrature suprême s’efforce de bâtir un discours de légitimité populaire : retour au peuple, urgence sociale, promesses de rupture, appels à la jeunesse. Pourtant, ces promesses s’effondrent souvent face à la réalité des pratiques internes des formations politiques, où le pluralisme d’idées est perçu comme une menace plutôt que comme une richesse.

Dans ce contexte, la lettre d’Abbo Yero agit comme un révélateur. D’abord, parce qu’elle émane d’un cadre ayant accompagné le FSNC depuis sa création. Ensuite, parce qu’elle ébranle l’un des rares partis réputés proches du pouvoir tout en se réclamant d’un discours social et républicain.

Mais surtout, elle ouvre un débat plus large : comment espérer bâtir une démocratie crédible à l’échelle nationale si les partis eux-mêmes ne respectent pas les règles du jeu démocratique dans leur propre fonctionnement ?

Alors que les citoyens camerounais expriment de plus en plus leur défiance envers la classe politique – abstention record, colère sociale, désengagement civique – la cohérence entre le discours public des leaders et leurs pratiques internes devient une exigence vitale.

« Si les partis veulent regagner la confiance du peuple, ils doivent d’abord se l’appliquer à eux-mêmes », déclare Nadine Ekomo, juriste et activiste des droits civiques à Douala. « Cela passe par des processus transparents, des candidatures débattues et validées, des programmes construits collectivement. »

En d’autres termes, il ne suffit plus de proclamer son attachement à la démocratie : encore faut-il en respecter les fondements dans les faits. La politique camerounaise, si elle souhaite se réconcilier avec les aspirations populaires, devra sortir de cette hypocrisie démocratique où l’on parle de participation tout en gouvernant dans l’ombre.

 

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